Littératie médiatique

Un des éléments liants qui donnent un sens à mon parcours professionnel jusqu’ici, c’est la volonté de fournir aux acteurs des milieux au sein desquels je m’implique des outils pour mieux comprendre le monde au sein duquel nous évoluons. Même si c’est réducteur, il y a quelque chose d’incontournable dans le fait que pour être au monde, nous avons besoin de communication. Or cela signifie que l’univers que nous habitons est en partie le fruit d’une construction. Il y a à cela un revers : il est possible que plusieurs de nos croyances, ou de nos opinions, soient erronées, car il est vraisemblable que des acteurs de cet environnement médiatique qui est le théâtre de ces échanges d’informations, de points de vue et d’impressions ou d’images et de sons (visant à produire des sensations, et à générer des réactions), soient aussi de puissants prestidigitateurs ou des maîtres de l’illusion. Aujourd’hui on dira que ce sont les algorithmes des moteurs de recherche de Google et de Facebook qui nous maintiennent dans des chambres d’échos, en ne nous renvoyant des tumultes du monde que les vagues qui sont en phase avec nos préconceptions les plus ancrées. Ainsi, nous avons l’impression de vibrer au diapason du flux de la vie, mais nous sommes maintenus dans une ignorance dangereuse des véritables mouvements de fond, alors que vacillent devant nos yeux fascinés les remous d’une onde indistincte de notre instinct qui nous encercle.

C’est pour lutter contre cet emprisonnement dans la fausse sécurité d’une familiarité étrange qui nous étreint d’un mortel baiser et qui nous fait perdre toute chance de constituer de véritables repères pour une progression qui conduirait vers l’édification d’un nouveau sens partageable universellement, que je me suis investi dans des initiatives et des projets qui pouvaient sembler limités ou relativement anodins, mais qui avaient une cohérence avec mon souhait de faire prospérer l’esprit critique et la rigueur dans les modes de pensée comme dans les actions.

C’est l’accumulation de ces gestes qui me fait voir aujourd’hui que j’étais en route vers la vraie réalisation de ce que je pouvais apporter suite à ce que j’ai appris. Et c’est un souci d’exprimer la compréhension que nous avons afin que la conversation puisse se développer et les malentendus être dissipés. Parfois, il est nécessaire de discuter de notre interprétation des phénomènes que nous observons. Il n’y a pas souvent des faits bruts, dont il est suffisant de dire : c’est. La richesse du réel vient de ce qu’il est le fruit d’un tissage entre nos perception, et la résistance des raisons qui font que cette appréciation a pu éclore, qui nous fait dire : il me semble. Cette dépendance à la phénoménalité du monde nous rend redevables aux autres pour établir un contexte commun à partir duquel nous pouvons élaborer un sentiment de confiance partager. Mais celle-ci ne peut véritablement devenir notre sentiment dominant que si nous poursuivons sans relâche la tâche infinie que nous impose notre devoir de cultiver la responsabilité qui nous rend dignes du titre d’êtres humains, soit celui de maintenir, d’aprofondir et de perpétuer avec la meilleure foi possible, le dialogue…

Le bon côté de la nécessité de passer par la médiation du langage et des différentes autres formes d’intermédiation justement, c’est que nous sommes d’emblée dans la conscience de notre finitude, obligés d’adopter une posture éthique impliquant l’humilité de reconnaître que nous ne connaissons pas les fins dernières pour lesquelles le monde a été créé. Et cela ne nous enlève pas le droit de décider que nous souhaitons mettre en oeuvre les moyens humains trop humains nécessaires pour que l’horizons d’une sagesse collective et individuelle puisse se dresser devant le regard de notre âme. Nos corps ont-ils à être sacrifiés dans l’aventure ? C’est possible. Mais cela n’est pas en contradiction avec le fait que nous atteindrons nos buts avec nos moyens.

Si nous essayons d’employer les ressources d’une autre dimension du réel, nous entrons dans l’imaginaire et c’est peut-être le risque qu’il y a paradoxalement à vouloir suivre le cours de l’actualité en mobilisant des médias, que nous pouvons couper court aux élans de notre créativité qui nous couperait de ce spectacle désordonné pour nous amener ailleurs.

Je ne prends donc pas position ici de manière catégorique pour ou contre la perspective médiatique sur le monde. Je dis simplement que les deux (la médiation et la mondanéité) vont de paire. Dès lors, nous devons composer avec cet exercice imposé : l’interprétation des message que convoient nos techniques de communication, afin de pouvoir avoir une prise sur le réel tel qu’il nous est possible de l’appréhender sans recourir à la magie ou aux incantations de la religion.

Et une des preuves que cela est vrai nous vient de ce que nous reconnaissons qu’une continuité se dessine, si on y réfléchit, entre les efforts qui nous sont demandés lorsqu’on veut faire la preuve que nous avons une certaine maîtrise des codes de la culture numérique et les exigences de rigueur qui étaient celles d’une culture médiatique classique. C’est ce que j’ai exprimé dans un billet destiné aux TCA (télévisions communautaires autonomes) pour lesquelles je suis ADN depuis plus de deux ans, dans mon premier billet important publié sur le blogue Avenumérique de la Fédé des TCA du Québec (qui est mon employeur même si je suis redevable également à la communauté de pratique du réseau des ADN, car mon emploi est financé par le MCC dans le cadre de la phase 2 du PCNQ). Lisez mon billet : « L’Éducation aux médias, ça nous regarde! » dans lequel j’explique que les médias communautaires en général et les TCA en particulier, avec leur mandat d’éducation populaire, sont bien placés pour contribuer à l’amélioration du niveau de littératie numérique de la population québécoise, car elles sont des médias qui peuvent concevoir leur mission comme étant notamment d’enseigner à la population les règles du jeu médiatique en général, soit justement cette contrainte qui fait que différents intérêts étant confrontés dans ces arènes que nous offrent les différents types de médias, il y a forcément négociation de la vision du monde qui se dégagera des tensions issues de ces pressions provenant de groupes diversement opposés. Et l’instance qui tranche est souvent le journaliste qui impose sa ligne éditoriale, malgré la neutralité qu’il est censé observer. Évidemment les chroniqueurs peuvent dessiner plus nettement des lignes de partage, mais au fond celles-ci sont plus labiles car les publics les prennent bien pour ce qu’elles sont, soit des jets venant d’un camp, fût-il indépendant.

Et tout cela n’était qu’une introduction pour dire que j’estime que c’est important de poursuivre la réflexion sur les relations entre littératie numérique et éducation aux médias, non seulement parce que la maturité numérique qui est indissociable de la littératie numérique est le signe d’une transformation numérique en bonne voie de s’accomplir, mais encore parce que c’est un processus à reprendre continuellement, et qui résonne avec la dimension itératif du processus d’apprendre qui est le moteur d’une existence menée avec le souci de rechercher le sens malgré l’absence de garantie relativement à sa présence au bout du parcours.

Dans ces conditions, nous ferions aussi bien de ne pas abandonner l’espoir qu’une signification continuera de nous habiter lors de notre dernier souffle que de cesser d’y croire alors que la vigueur des énergies naturelles nous alimentent encore.

Vous l’aurez compris, j’entendrai parler ici non seulement de littératie médiatique, mais aussi de la manière dont celle-ci est le socle sur lequel s’érige la littératie numérique. Je parlerai plus volontiers d’éducation aux médias pour parler de cette étape préalable pour comprendre ce que signifie vraiment une perspective critique face aux médias sociaux ou aux pièges de la désinformation qui nous guettent si on se fie trop facilement à ce qui nous est rapporté sur le web. Mais je devrai aussi remonter plus en amont aux sources de la conscience critique qui fait le coeur de la compréhension éclairée des médias ou de la communication dans un monde connecté, soit le rapport du message ainsi véhiculé avec une culture informationnelle qui doit elle-même précéder.

Le plan est donc ici de parler alternativement de culture informationnelle, d’éducation aux médiasa et de littératie numérique. Le tout se déroulant toujours dans l’optique de la valorisation de la démarche de reconnaître l’esprit critique comme le point focal qui rend cette triade formatrice pour un esprit humain.

Je vous remercie de votre intérêt et de votre volonté de suivre cette réflexion en y contribuant comme vous pourrez.

Une tribune est le wiki cousin d’Y penser : Cultnum/wiki. Car au fond, c’est de culture numérique que nous parlons.

C’est à dire de ce qui nous fait être au monde selon nos moyens.