ALTÉRITÉ

 

ALTÉRITÉ

 

 

ALTÉRITÉ I

 

Chacun de mes pas
Dévore l’espace qu’il occupe
Chaque chose que je touche
S’ajoute à moi
M’assiège   m’investit
Je prends et je suis pris
Comment détruire le filet
Qui me retient entravé
La bête piégée
Condamnée à ronger son membre
Pour se libérer
Chaque mot
Une chair pantelante
Hors de moi projetée

 

 

ALTÉRITÉ II

 

Je te regarde
Toi   la mère et l’enfant
Doux yeux embuant mon œil photographe

Je te regarde
Toi   le chien galeux
Gisant sur la plage
Tes yeux vitreux
Où je ne suis qu’un reflet

Et toi l’Autre
Tu me regardes
Et vous me regardez tous
Quand je vous regarde

Regards croisés
Échange passif
Du regardeur regardé

Inquisition

Que viens-tu chercher
Dans mes yeux
Sinon cela même
Qui me fuit dans les tiens

Regard insatiable
Puissance de la langue

Limace tenace
Nul grain de sable n’est épargné

Ni même celui du soleil attardé
Tu entres dans tout
Ce que tu lèches et avales

Confinée dans sa nuit
L’huître se referme
Sur sa lumière concentrée

 

 

ALTÉRITÉ III

 

Je dis « Tu »
« Tu » pour éluder ton nom
Je dis « Tu » et je conjure ton nom

« Je » c’est moi
L’autre que je suis quand je me regarde
Ton nom c’est l’autre en toi
Que je masque

Chaque fois que je taies ton nom
Car je suis celui qui est
Tout naît de moi
De mon seul regard
Qui est lumière
Posée sur toi

Ton nom je me le roule sur la langue
Comme pastille lénifiante
Ou le malaxe
Et le crache
Comme abjecte pitance

On dit ton nom
Et ta présence raie ce nom
Parmi les autres noms
Sur le registre d’existence

Tu es là devant moi
Une voix dans un corps
Et tu occupes ta place
Dans ma conscience

Tu es là
Tu me surprends
Je t’intercepte
Tu es toi
Et tu m’es autre
Pour toujours
 

J’effleure dans la nuit de mes doigts
Le lobe de ta joue
Et soudain tu m’apparais
Pareil et différent de moi-même
Et tu m’es autre pour toujours

Ton sourire tout entier
Me recouvre
Me réchauffe
Et sa lumière même
Me dit que
Tu m’es autre
Pour toujours

Vraiment tu m’impressionnes
Tu as tout de la divinité
Au premier jour du monde
Tu me fascines tu me façonnes
À l’image que je me fais de toi

Tu me crées à chaque seconde
Par chaque pas que je pose
Sur ton regard
Suspendu sur le vide du monde

Tu m’inspires tu m’aspires
Ce que je suis je le suis par toi
Tu es mon puits sans fond
Que clame tout désert

Car tu caches ta face
Sous celle du Grand Absent
Qui se mure dans sa sombre éternité
 

Et je te suis autre
Et seul
Pour toujours

 

 

ALTÉRITÉ IV

 

Je me meurs en toi
Qui te meurs devant moi
Nous mourons seul
Impuissant à retenir l’autre
Dans le temps qui s’arrête de durer

Je me meurs de toi
Qui te meurs devant moi
Délesté de toi   cet autre moi-même
Que je ne peux sauver
Dans le temps qui continue de durer

Je te porte en moi
Dépouillé que tu es de ce que tu as été
Évanescente trace
Que le temps
Dans sa course
A trépassé

Sous tes paupières closes
Dans ton cercueil scellé
Sous la terre comblée
C’est ce que j’ai été pour toi
Qui gît enseveli

 

 

Signature

LES PLIS DE L’ÂME III

Publié par Jean Marcoux

Après une carrière comme enseignant au niveau collégial, l’auteur s’est engagé dans une réflexion consignée dans des textes illustrant les « Pliures » de la conscience personnelle : les plis du corps, de l’esprit et de l'âme assurant ses fonctions perceptive, réflexive et affective. « Chronoosmatiques » explore l’évolution de la conscience occidentale qui se serait déployée en développant tour à tour chacune de ces fonctions, établissant respectivement, à chaque étape de son évolution, une relation fusionnelle, rationnelle (dominatrice) puis intrusive avec la nature.

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