TU N’ES PLUS LÀ
« Ma mère que voici n’est plus du tout la même »
Émile Nelligan
L’automne s’éteint aux feuilles éparses de novembre
Quand la mémoire s’attarde et s’égare
Et que la vie est ailleurs
Ne bouge ici que ce que ce souffle
De loin rapporte
Sur ce qui fut joie et douleur
La main tremble et les lèvres s’agitent
Rythmant ce qui remonte du fond du cœur
Une fleur de silence vacille
Aux marécageux sursaut de la démence
Tu as rejoint ce troupeau en attente
Derrière la grille où gîte
L’énigme de la mort
Là où le départ succède à l’absence
Ils sont tous là dans cette salle
Que meublent leurs mânes anonymes
Excentrés d’eux-mêmes éviscérés exsangues
Soumis à l’incessante vidange de leur souffle sans âme
Tu n’es plus là on te dit derrière la vitre
Des mots que tu n’entends pas
Ou que tu raccroches à des souvenirs apocryphes
Que nous livre ta langue entravée
Buttant puis se redressant au pas de course
Pour garder son équilibre
Jusqu’à l’entorse douloureuse du silence
Tu n’es plus là tu nous regardes de tes prunelles embues
Renversées sur le jardin étale et clos
Derrière ton beau visage de camée gélif
Béance médullaire et blême où ton sourire s’égare se perd
Ils sont tous là en marge et précaires
Maigres précipités de vies en jachère
Rivés à la trémie ultime
Du toilettage de la becquée et de la médication
Avant de disparaître sans plus de bruit
Que la pierre qui fait des ronds
En coulant au fond
FILIATION
À la mémoire
de mon père
Lucien
Tu es parti
Sans me quitter
Incessant écho
De ma pensée
Miroir doublant le geste
À quelques pas
De ma réalité
Pour mieux la mesurer
Tu es l’ange
Aux ailes
Mille fois ocellées
Ton absence
T’en recouvre
Comme deux bras croisés
Sur ta bienveillante vigilance
Où tu m’attends
Dans notre ultime identité
D’ici
Je me déploie
Dans ma distance
Ma différence
Je suis le temps
Qui me reste
Pour me réaliser
Avant de coïncider
Avec ma propre énigme
« Tel(s) qu’en (nous)-même(s)
L’éternité (nous) change »*
* Mallarmé, Le tombeau d’Edgar Poe.