LES GISANTS
Grandes figures allongées
Gisants de temps et de pierre sculptés
Hauts lignages aux textes de l’Histoire accolés
Recez dithyrambiques de sable plains
Fascés contrefascés sous les voûtes gothiques
Leur œil crépusculaire
Qui dans son orbite
A pour toujours basculé
Aux profondes cryptes de leur crâne
Repose involuté
Par quelle ordalie affranchies
Par quel déni d’humanité
Dorment-elles à l’escarre
Ces grandes aigles mornées brochées du cri rare
Chapées de silence et d’honneur semées
Clones héraldiques de grandeur et de misère partis
Beaux Sires belles Dames et vous Éminences mitrées
Pauvres alérions et merlettes à l’aile rognée
Vous pavez les siècles sarcophages de blasons décolorés
Jonchais risibles d’éternité
Vos mains jointes et baguées
Retiennent encore l’épée ou le sceptre ou la crosse à senestre posé
« Dormir dormir enfin dormir »[*]
Après la tempête la dernière convulsion
Et de votre empan mesurer la terre ensellée
Chargée de vos mille chevrons
Heaumes altiers au cimier empanaché de clarté
Larges épaules que la mort adoubeuse a foudroyées
Grands glaciers dont la chute tout autant que leur règne
En rimayes profondes a burelé notre vallée
Argiles dont seront faits nos demains
Blanc limon de gloire sur le lit de la mémoire déposé
Leur horde silencieuse et funèbre de pupes erratiques
Dans leur ordre mouvant et gironné
S’irradie en croix recercelée
Moyeu en abîme d’une moie[**] dormante
Sur laquelle une autre agissante
Broie et polit des vivants les gestes métamorphiques
Grands corps allongés
Gisant dans la pierre par le temps sculptée
Vous vivez solennels d’un repos éternel
Et la chienne camarde
Docile diffamée
S’assoupit à vos pieds
[*] Citation que l’on trouvait sur une inscription au bas d’un gisant dans le monastère des Hiéronymites (situé dans le quartier de Belém) à Lisbonne.
[**] Forme ancienne du mot meule.